Les Papeteries du Pont-de-Claix
Neuvième en nombre d’habitants parmi les quarante-neuf communes composant l’agglomération métropolitaine de Grenoble, le Pont-de-Claix est pourtant une commune récente née dans la seconde moitié du XIXe siècle. L’histoire de sa fondation est profondément liée à celle de ses papeteries, dont les établissements ont été fermés le 1er juillet 2008, après 187 ans d’activité. Démoli en partie entre 2012 et 2014, le site où s’était épanouie cette industrie pendant près de deux siècles représente aujourd’hui une vaste friche de 24 hectares au sein de laquelle subsistent trois bâtiments datant des années 1820 à 1870.
L’ambition de requalifier ce lieu a été très tôt portée par la commune de Pont-de-Claix, qui l’intègre dans son projet de développement urbain en 2009. Le site est racheté en juillet 2011 et un diagnostic sur le terrain accompagne de premiers scenarii d’aménagement, ainsi qu’une concertation autour de la mémoire des papeteries. Entre 2016 et 2017, les élus de la Métropole reconnaissent le projet de revitalisation de cette friche et prennent la responsabilité de son aménagement. En tant que trace importante de l’histoire du territoire, institution fondatrice du Pont-de-Claix et fort vecteur de la mémoire ouvrière de la ville, la valorisation historique leur apparaît comme un élément essentiel aux réflexions portées sur l’avenir du lieu. C’est ainsi que je fus appelé pour enquêter sur les origines et le développement de l’une des papeteries les plus importantes de la région grenobloise.

Au XVIIIe siècle, le pont de Claix, interface entre le cours Saint-André et les routes menant au sud du Dauphiné, apparaît comme un lieu de passage n’ayant agrégé que quelques bâtiments dans sa proximité immédiate. Vers le nord de vastes terrains agricoles parsèment la plaine jusqu’à Grenoble et au sud, le long du Drac, des digues ont été construites pour contenir les eaux impétueuses du torrent ayant une fâcheuse tendance à inonder les abords de la ville. C’est sur les terres de l’une de ces digues, celle de « Marcelline », qu’Étienne Breton, pharmacien grenoblois décide d’implanter une papeterie en 1821. Le projet démarre modestement au sein de sa maison de campagne mais le moment choisi est opportun : deux campagnes de travaux majeurs se lancent en bordure du Drac. L’une visant à la création de canaux entre Champagnier et Echirolles ; l’autre à la création d’une nouvelle route plus directe entre Vizille et Grenoble. De plus, les ventes de papier sont en plein essor et les machines se font de plus en plus performantes. En plus de ce contexte géographique, technologique et économique favorable, Etienne Breton possède les connaissances requises en chimie pour maîtriser la confection de la pâte à papier. Ainsi, toutes les conditions sont réunies pour faire de cette entreprise une réussite.
En se greffant sur le nouveau canal de la Romanche, l’entrepreneur est capable de tirer sur sa propriété une arrivée d’eau spécialement aménagée pour les besoins de la papeterie. La première machine de la fabrique voit le jour en 1828. Conçu par le fils aîné de la famille, ce premier modèle en bois est remplacé en 1831 par une machine en métal. Cette avancée technologique traduit une importance croissante de la papeterie. Employant des ouvriers locaux elle fonde le noyau d’un petit bourg qui ne cessera de grandir.
À cette époque, la fabrique produit aussi bien des papiers simples que des papiers plus rares destinés à des usages particuliers (papier pour la lithographie ou papier de cartographie). Cette diversité ainsi que la qualité des papiers qui sortent des usines permettent à la famille Breton d’exporter plus d’un tiers de leurs produits hors de l’hexagone (Suisse, Allemagne, Italie, Autriche, Angleterre). La reconnaissance passe rapidement à l’international lorsque la société reçoit une médaille à l’exposition universelle de 1855. Entre temps le fondateur de la petite usine suit son fils mort prématurément et le dernier de la fratrie, Paul Breton, reprend les reines de l’entreprise. En suivant les pas de son père et de son frère, Paul saura saisir les opportunités industrielles du moment et fera de la papeterie une industrie puissante, ayant fixée autour d’elle de nombreux ouvriers. La présence des canaux et d’un bassin d’emplois créés et stabilisés par la papeterie attire de nouvelles manufactures dans la zone : moulin, piloirs à plâtre et à ciment, pressoir à huile… De plus la vie qui anime les environs du pont de Claix demande l’implantation de commerces et de petites entreprises de services nécessaires à la vie locale (boulangeries, bistrots, société de charpente ou de menuiserie). En une cinquantaine d’années le pont de Claix passe d’un hameau comptant quelques dizaine d’âmes à un véritable bourg. En effet, en septembre 1870, la ville fondée autour des papeteries franchit le cap symbolique des 1000 habitants. Cependant, cette entité ayant ses dynamiques propres est toujours reliée à la commune de Claix. Paul Breton directeur des papeteries mène alors une pétition visant à accorder le statut de commune au Pont-de-Claix. Fort d’arguments solides, la demande des habitants sera entendue en Conseil d’État et c’est sans surprise que ces derniers éliront comme maire Paul Breton lors de la première élection municipale de la ville, en 1873.
En 1885, à la suite de la mort de Paul Breton, l’entreprise devient une société commandite par action sous le titre « Papeteries du Pont-de-Claix ». Malgré ce nouveau statut permettant des investissements plus importants via le recours à des actionnaires, l’industrie connaît une limitation de ses évolutions. La force hydraulique des turbines alimentant l’usine en énergie stagne et une série de crises sur le marché du papier vont sérieusement ralentir la production de l’usine dans la dernière partie du XIXe siècle. Face à ces nouveaux défis, la société du Pont-de-Claix engage un jeune ingénieur, Henri Sombardier (1863-1946). Son ambition doublée du redoutable instinct qui avait guidé Paul Breton, donnera un nouveau souffle à l’entreprise…
Pour en savoir plus sur cette aventure industrielle, je vous invite à lire le rapport rendu à la Métropole de Grenoble en novembre 2017 et revu et corrigé en 2022, disponible en suivant ce lien.