Pourquoi les Grangettes ?
L’une des particularités de La Compôte est d’être un village regroupé et non dispersé en hameaux, comme c’est le cas pour tous les villages des Bauges. Cette concentration des habitations en un seul et même lieu pourrait être due au fait de vouloir laisser le maximum d’espace disponible pour les cultures et les prés de fauche qui avaient été regroupés sur les bords de la rivière (le Chéran) et le versant opposé. C’est précisément à cet endroit qu’ont fleuries de nombreuses Grangettes. Plusieurs hypothèses ont été établies quant à leur création : Tout d’abord, l’habitation étant regroupé de manière dense dans le village, il aurait été décidé de stocker le foin à l’extérieur du village afin de prévenir les risques d’incendie. De la même façon, ne pas stocker toutes ces précieuses récoltes au même endroit permet d’éviter qu’elles soient en totalité détruites par le feu. De plus, le fait que l’habitat soit concentré engendre des problèmes de place pour le stockage. Le village de La Compôte étant une véritable agglomération, les paysans manquant de place dans leur grange principale, n’avaient alors pas la possibilité d’agrandir celle-ci. Ils devaient donc construire une sorte d’annexe ailleurs. Autre hypothèse, pouvant se combiner à la première, ces petits bâtiments de stockage du foin auraient été placés à cet endroit, au cœur des prés de fauche, afin de ne pas avoir à transporter le foin inutilement. En effet, à l’époque les près de fauches remontaient bien plus haut en altitude du fait de l’importance de l’élevage et des besoins en bois. Ainsi le transport pouvait parfois être long et complexe étant donné la situation en altitude des prés de fauche. Il était alors plus simple de bâtir un bâtiment de stockage prés du lieu de ramassage du foin. Ces hypothèses sont corroborées par la position des Grangettes sur les parcelles de terrain qu’elle occupent. Généralement déterminées par le sol, ce sont également les facilités d’exploitation qui ont conduit à leur développement. Les terrains à déclivité élevés connaissent une construction des bâtiments, en règle générale, sur la partie la plus basse. Cela permettait au paysan, au moment de la fenaison, de descendre avec le foin sur son dos. Ce travail étant moins pénible que s’il avait besoin de remonter constamment la pente. Dans ce cas, la porte du petit bâtiment est tournée du côté où le versant se relève afin de faciliter le chargement. Si le terrain est plat, la Grangette est alors placée au milieu du pré afin d’éviter les déplacements trop longs d’un bout à l’autre de la prairie. Enfin, les petites granges sont en principe toujours placées le plus près possible de la route, du chemin ou du sentier d’accès afin de transporter plus facilement le foin jusqu’à la maison permanente où étaient abritées les vaches. La question que l’on pourrait se poser, au delà de l’utilité de ces Grangettes, serait la raison de leur concentration. En effet c’est bien leur accumulation qui crée un paysage si remarquable.
L’explication tient en ce que la commune de La Compôte a une forme allongée qui s’étend entre les pentes de Doucy-en-Bauges et le mont Colombier. La vallée, très étendue, est partagée entre les communes d’Ecole, de Jarsy et du Châtelard. Or, toute cette vallée est propice à la culture par une bonne exposition au soleil et un terrain relativement plat. Les Compotains réservaient (et réservent encore) ces terrains aux labours car seule la fauche du foin pouvait se faire sur ces terrains pentus. La culture des céréales et autres cultures étaient à la charge des villages voisins. Pour finir, la quantité de Grangettes peut aussi s’expliquer par le fait qu’à l’époque de « l’âge d’or des Grangettes » – c’est-à-dire au XIXème et au XXème siècle – le morcellement des parcelles était encore de coutume. Le regroupement des parcelles étant une situation récente. Il existait donc une Grangette pour chaque propriété, et rare étaient les granges qui servaient pour deux ou trois parcelles.
Depuis quand ?
En 1836, on compte plus de 130 Grangettes à la Compôte-en-Bauges. Le XIXe siècle est donc reconnu comme « l’âge d’or » des Grangettes, montrant alors la prédominance des activités agropastorales au village. Suite à l’exode rural et la déprise agricole, en 1996, il est possible de recenser seulement 89 Grangettes, qui ont été victimes d’un manque d’entretien. Aujourd’hui ce marqueur fort du paysage des Bauges, véritable carte d’identité renvoyant à sa vocation agro-pastorale, est menacé. Pourtant, il constitue un patrimoine pour le massif , étant donné son témoignage unique d’un âge d’or passé.
Anatomie d’une Grangette
Pour les Compôtains, l’appellation de « Grangettes » serait une manière de regrouper toutes les granges qui sont situées en dehors du village. Pour les personnes extérieures au village, il s’agit plutôt d’une manière de nommer les granges à foin présentes sur le territoire de la commune de La Compôte. Chaque Grangette pourrait être jugée différente de par sa façon de s’adapter à la pente, sa taille (elles sont en effet plus ou moins grandes au point que certaines peuvent être aménagées en chalet), ses fondations, son sol… Toutefois, il existe deux types de constructions qui sont bien distinctes l’une de l’autre.
La Grangette à claie :
Les Grangettes à claie sont construites avec des troncs dégauchis sur place et entaillés à leurs extrémités afin qu’ils s’encastrent les uns sur les autres. Puis, chaque morceau tenu par cet encastrement s’empile comme un jeu de construction. Les différences de largeur entre la base et le haut des troncs permettent à certaines granges de rattraper le degré de la pente. Les poutres des anciennes Grangettes étaient raccordées par des chevilles en bois, sur les plus récentes ou entretenues, ces chevilles ont été remplacées par des clous. D’architecture assez simple, ces Grangettes se trouvent généralement à proximité d’un bois où tous les matériaux peuvent être trouvés et façonnés sur place.
La Grangettes à colonne :
Ces dernières sont toutes construites avec des planches façonnées dans les scieries qui autrefois étaient nombreuses à La Compôte. Tous les matériaux de la grange sont amenés et montés sur place. C’est pour cela que ces Grangettes sont généralement placées aux abords des chemins d’accès. Elles demandent donc des moyens techniques et financiers plus importants : planches équarries à la scierie, une voie d’accès et une connaissance plus approfondie de l’architecture. Beaucoup ont pensé que les Grangettes à « claies » étaient plus anciennes que les Grangettes à « colonnes ». En fait, cela tient plutôt à une conséquence géographique du territoire. En effet, pendant une longue période, les deux types de construction étaient utilisés. L’existence d’un ou deux charpentiers dans La Compôte n’était pas un élément déterminant pour leur construction. Quand quelqu’un voulait construire une grange, deux ou trois personnes par famille étaient mises à contribution et la construction était rapidement faite. Ainsi il n’y avait pas vraiment d’école d’apprentissage. Les habitants apprenaient plutôt en « regardant faire ». Il faut néanmoins ajouter un point architectural qui permet d’unifier les Grangettes : le toit en tôle. Il permet aujourd’hui de garder les Grangettes à l’abri de l’humidité. Cette technique n’est pas nouvelle car même les grangettes à l’état de ruine sont aujourd’hui aussi recouvertes de tôle. Cependant, le toit de ces bâtiments n’a pas toujours été ainsi. En effet, Joseph Despine, inspecteur Général des Mines de Savoie, décrit en 1832 des toits fait de chaume.
Nous n’avons fait ici qu’effleurer le sujet complet que constitue l’architecture des Grangettes et leur histoire, longue de près de trois siècles. Nous espérons néanmoins vous en avoir appris assez pour vous sensibiliser au sort de ces petite granges, symbole de l’agro-pastoralisme montagnard. Pour aller plus loin voici une liste de quelques ouvrages intéressants :
* ASSELIN Jean-Michel, Lansard Gilles. Les Bauges, chemins de vie. Grenoble : Glénat, 2006, 144p.
* GEX, François. Les vallées des Bauges. Bauges-diffusion. Tome 1, 1925. 144 p.
* GEX François (Abbé). Les Bauges, chemins et vie d’autrefois. Yens sur Morges : Cabédita, 1996, 210p .
* HERMANN, Marie-Thérèse. Architecture et vie traditionnelle en Savoie. La fontaine de Siloé, 2004. 303 p.
* PAILLARD Philippe. Histoire des communes savoyardes. Tome 2 : Aix-les-Bains et les environs – Les Bauges – La Chartreuse – La Combe de Savoie – Montmélian. Roanne Le Coteau : Éditions Horvath, 1984, 461p. pp111-149.
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